Textes

Fugue lumineuse

L’oeuvre de Mustapha Azeroual semble toute entière déployer les caractéristiques étymologiques du verbe « photographier » : écrire avec la lumière. Pourtant, plus qu’écrire « avec », Mustapha Azeroual écrit « sur », sculpte « dans », réfléchit « à partir de » la lumière. L’artiste interroge, par la réappropriation de techniques pionnières de l’histoire de la photographie – gommes bichromatées comme dans les séries « Ellios » et « Radiance », daguerréotypes comme « Echo »… – et leur confrontation avec les enjeux de la sculpture et de la vidéo, l’essence même d’un médium. Tout son travail consiste en une expérience immersive de la photographie comme modélisation lumineuse ainsi qu’on le note dans l’oeuvre tridimensionnelle Echo 1,2,3 ou encore dans l’installation vidéo « Présance ». On ne s’étonnera donc pas de trouver comme jalon conceptuel de sa démarche la phénoménologie, étudiant les liens entre l’espace, la lumière et la perception et que relaient ses images en réseau lenticulaire. Le photographe se révèle aussi l’héritier des partispris de la Generative Fotografie avec ses jeux de liaisons formelles qui reposent sur l’évolution logique et précise d’une image-patron cherchant son unité dans la série. Abstraite, rigoureuse et radicale en ce qu’elle refuse le motif figuratif et valorise un certain protocole, l’oeuvre de Mustapha Azeroual est aussi une fugue vers le sensible. Comme dans la musique contrapuntique, elle se fonde sur l’entrée et le développement successif de thèmes selon un principe strict de variation qui donne l’impression que chaque image fuit ou en poursuit une autre. L’épure des sensations convoquées par son travail qui bâtit avec la lumière autant qu’il l’habite poétiquement invite à prendre conscience de cette harmonieuse instabilité de la vision.

Héloïse Conésa – Conservatrice du patrimoine, en charge de la collection de photographie contemporaine à la Bibliothèque Nationale de France. 

Réinitial

À la notion de “renaissance”, se sont substituées dans l’histoire de l’art celles de “néo” puis de “post”. Peut-être sommes-nous aujourd’hui entrés dans celle du “réinitial”. L’histoire de la photographie a désormais deux cents ans -si l’on se fie aux premiers résultats héliographiques de Nièpce en 1816-, et voilà que la création contemporaine semble vouloir tout reprendre par la racine. Ces deux siècles ont été marqués par une période de rupture que constitue la “transition numérique” par laquelle nous sommes désormais passés. Elle aura été nécessaire pour inspirer tout une génération qui travaille à réinventer du “photographique”, en allant interroger esthétiquement les expériences jadis déterminées par leurs usages et qui, désormais libérés de toute fonctionnalité, sont réactivées dans leur dimension poétique. Ainsi les procédés anténumériques – daguerréotype, collodion, gomme bichromatée, gélatinobromure, etc. -, sont rejoués en dehors de toute nostalgie. Mustapha Azeroual revisite les classiques comme un metteur en scène s’attaque à Shakespeare ou un musicien revisite Bach. C’est parce que la photographie anténumérique est devenue classique que l’on peut sans cesse la réinterpréter. Mais pour cela il ne suffit pas d’être un virtuose, il faut à son tour penser la recherche en art comme une aventure. Les particules élémentaires de la lumière se redonnent comme les substances à projeter dans notre monde numérique. Il n’est donc pas étonnant que Mustapha Azeroual travaille avec l’équipe de l’observatoire de Meudon, au plus près des savants. Il y a plus d’un siècle, son directeur Jules Janssen y était reconnu comme l’une des plus grandes figures de l’astronomie. N’avait-il pas photographié la surface du soleil et produit le plus impressionnant album de tirages au charbon montrant l’astre bouillonnant ? Il confiait alors à son ami le peintre Jean-Jacques Henner, à quel point il se pensait autant artiste que savant. D’ailleurs, ses observations sont aujourd’hui considérées sur le strict plan esthétique et comme les premières photographies abstraites. Mustapha Azeroual marche ainsi dans les pas d’une histoire qui n’a jamais délié le rapport artscience, il fusionne le laboratoire et l’atelier, expose et installe ses résultats en faisant du moment de l’expérience une pratique performative. Ce faisant il contribue à la métamorphose de la photographie en une pratique artistique différente de ce qui avait été jusqu’alors imaginé à partir du modèle pictural ou documentaire. Mustapha Azeroual est un artiste expérimental issu de la génération digitale, en dix ans il est devenu emblématique d’une photographie qui se réinitialise sous nos yeux.

Michel Poivert – Professeur d’Histoire de l’art, commissaire d’exposition et fondateur de la chaire d’Histoire de la photographie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne.

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